De l’interdit religieux…

à la liberté de pensée, d’expression et vestimentaire

LE NATURISME est le fruit d’une lente évolution philosophique qui prend sa source dans l’Antiquité gréco-indienne, avec notamment la rencontre entre Démocrite, Hippocrate, Pyrrhon d’Élis et les gymnosophistes, littéralement « sages nus » (Sadhu Digambaras jaïns).

Cette forme de pensée s’est fortifiée au sein des écoles hédonistes et eudémonistes (Cyniques et Cyrénaïques ; Épicuriennes  et Stoïcisme ancien) puis Sceptiques. C’est une quête du bonheur qui puisera également dans les principes de la  médecine Hippocratique et des règles du thermalisme qui prend son essor à la même époque. Elle s’appuiera également sur la culture antique d’éducation physique au grand air, selon la maxime latine « mens sana in corpore sano ».

Le naturisme s’inscrit donc dans la lignée des mouvements émancipateurs et humanistes, progressistes et féministes, pacifistes et d’éducation populaire. Sa philosophie est en outre, depuis ses  débuts, fortement emprunte d’écologie et de respect de l’environnement.

LA NUDITÉ (nudisme) est une des pratiques mises en œuvre dans le cadre de la philosophie naturiste. Avant l’ère chrétienne, la nudité humaine n’est pas un problème et il n’y a pas d’interdit. Mais tout change avec l’avènement du christianisme. La nudité fait fatalement référence au récit célèbre du paradis perdu dans la Genèse. Ce récit nous dit qu’à l’origine l’homme et la femme étaient nus et qu’ils n’en éprouvaient nulle honte (pudor en latin).

Le raisonnement de Saint Augustin est particulièrement éclairant pour comprendre le rapport ambivalent qu’entretient l’Église avec le corps humain… Il est le penseur à qui l’on attribue la tradition chrétienne de détestation du corps, du rejet de la sexualité terrestre et tout naturellement de la nudité, comme source de tentation.

Il crée le concept de « péché originel »  : en ayant croqué la pomme, Adam et Ève ont commis un péché qui se transmet dans l’âme humaine de génération en génération par l’acte sexuel…

DE L’ARTICLE 330 (ABROGÉ) DU CODE PÉNAL, À L’ARTICLE 222-32

Selon l’historienne Nicole Lemaître, « Le Concile de Trente a été la réponse catholique pour se protéger de la Réforme Protestante. Cette crispation a provoqué des décisions dont nous subissons toujours les conséquences», et notamment l’ancien article 330 d’outrage public à la pudeur, inscrit dans le code pénal Napoléonien, avant que l’Église ne soit séparée de l’État et la laïcité intégrée au bloc de constitutionnalité. La doctrine moraliste de cet ancien article continue malheureusement d’être appliquée par certains tribunaux, sans aucune base légale puisque cet article 330 a été abrogé…

En effet, avec le nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994, le Parlement a voulu « laïciser » en quelque sorte ce délit, en ne se basant plus sur la morale catholique, mais en ne retenant que les éléments factuels caractéristiques « d’une agression sexuelle ». Désormais, la loi ne réprime plus la nudité, car la LAÏCITÉ, c’est aussi le droit pour chacun de ne pas obéir à quelque injonction religieuse que ce soit… Henri Nallet, Ministre de la justice et Garde des Sceaux en charge de la réforme du code pénal avait expliqué que « seuls les comportements sexuels présentant le caractère d’une exhibition imposée à des tiers tomberont sous le coup de la loi pénale, et ne seront incriminées que les attitudes obscènes et provocatrices qui sont normalement exclues de la pratique du naturisme ».  Il reprenait ainsi la jurisprudence de la Cour d’appel de Douai (1989).

Plusieurs professeurs de droit enseignent d’ailleurs que l’exhibition sexuelle est « un comportement à caractère sexuel imposé à autrui » :

« ce n’est plus la moralité publique qu’il s’agit de préserver mais le consentement des personnes qui sont confrontés à des spectacles immoraux sans l’avoir souhaité », et que la loi protège la personne « contre les déviances de la sexualité d’autrui » (A. Lepage et H. Matsopoulou, Droit pénal spécial, PUF, 2015, § 340).

– S’appuyant sur une jurisprudence de la Cour d’appel de Douai qui, dans un arrêt déjà ancien du 28 septembre 1989, avait jugé que « la simple nudité d’un individu sans attitude provocante ou obscène ne suffisait pas à constituer le délit d’outrage à la pudeur », un autre auteur considère que « La règle semble donc être aujourd’hui, que la nudité au spectacle, comme dans la vie ( naturisme, plage), ne suffit pas en elle-même à constituer une exhibition sexuelle au sens de l’article 222-32 » (J. Prade et M. Darti-Juan, Droit pénal spécial, Cujas, 7ème édition, 2017, § 704 ).

Liberté d’expression

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) l’a expressément jugé en 2014 (CEDH, 28 octobre 2014, Gough contre Royaume-Uni, n° 49327/11 – « randonneur nu »). Elle considère en effet « qu’apparaître nu en public était pour M. Gough une manière d’exprimer son opinion sur le caractère inoffensif du corps humain ». Elle reconnaît que la nudité en public, pratiquée par un naturiste, relève de cette liberté. À cet égard, la CEDH a plus précisément rappelé « que le droit à la liberté d’expression porte non seulement sur le contenu des idées exprimées mais également sur la forme employée pour les communiquer. M. Gough ayant choisi d’apparaître nu en public pour exprimer son opinion sur le caractère inoffensif du corps humain, sa nudité en public pouvait être considérée comme « une forme d’expression » qui relève bien de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme » (CESDH).

Liberté individuelle et vestimentaire

La Cour de cassation a jugé, en matière sociale, que « le choix de la tenue vestimentaire relève de la sphère des libertés individuelles du salarié » et que « la restriction de la liberté individuelle de se vêtir doit être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché » (Cass. Soc. 6 novembre 2001, n° 99-43988 : 13 février 2008, n° 06-43784).

Le Tribunal administratif de Besançon a déjà eu l’occasion de juger que « la liberté individuelle de choix, par les usagers, de leur tenue vestimentaire [] est une composante du droit au respect de la vie privée, et peut, le cas échéant, procéder également de la liberté de conscience et d’expression, lorsque la tenue en cause traduit l’adhésion à un courant ou à un groupe de pensée ou religieux » (TA Besançon, 14 avril 2016, M. Lechantre, n° 1401447 – adepte du « barefooting » ).

CONCLUSION

Le naturisme, en tant que système philosophique ne peut donc être interdit. Il relève comme toutes les autres formes de pensée de la liberté d’opinion et de conscience comme de la liberté d’expression. Celles-ci sont garanties par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), par les articles 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH) ainsi que par les articles 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE).

En matière de nudité, la doctrine juridique est à présent inversée  : nous sommes passés d’une interdiction générale dans l’espace public avec des exceptions soumises à autorisations, à une dépénalisation générale qui peut cependant être encadrée par des interdictions exceptionnelles et limitées, mais obligatoirement justifiées par un  risque avéré de trouble à l’ordre public . Malgré ces évolutions du droit, nous restons cependant confrontés à des jugements ou décisions administratives arbitraires, qui continuent d’appliquer la doctrine liée à l’ancien article 330 du Code pénal, pourtant abrogé… Ce qui constitue une atteinte grave aux libertés individuelles et une violation de l’état de droit.